T’as 18 ans. T’as 18 ans, toutes tes dents, et t’as parfaitement le droit d’être là. Tu te le répètes comme un mantra, comme une prière destinée à calmer l’anxiété qui te ronge. T’as pourtant tout bien réfléchi une centaine de fois et tu es toujours revenu à la conclusion que personne ne fera attention : le mensonge passera et la liberté sera à portée de main. Enfin. On appelle ton nom, tu souffles un coup, tu redresses les épaules et avances jusqu’au bureau où on te fait signe de t’assoir.

Ça ne prend pas beaucoup de temps. On te pose des questions d’une voix ennuyée et tu réponds sans hésitation, le ton clair et le regard fixe. S’il y a une chose que tu as apprise, c’est comment inspirer confiance aux gens, comment imiter le parfait modèle du boy scout américain. Tu ne le sais pas encore, mais ça va devenir une seconde nature. Encore une dizaine de minutes, une signature d’un geste plus assuré que tu ne l’es et ça y est, tu es engagé. Entrer dans l’armée, c’est ridiculement facile.


Tu finis tes classes sans problèmes. T’es habitué à être malmené, plus qu’aucun autre gosse de ton âge ne semble l’être et ici, au moins, ça n’a pas la même malveillance qu’à la maison. Suivre les ordres, c’est moins simple : ton esprit analytique se rebelle contre la futilité de certaines corvées et travaille sans cesse sur mille façons de simplifier les exercices en ta faveur. Tu apprends vite que faire ton malin ne te servira à rien pour l’instant. Alors tu serres les dents et te bornes à suivre la hiérarchie, tu ignores les gémissements des garçons qui n’arrivent pas à suivre le rythme et ne t’arrêtes pas pour songer à la vie privilégiée qu’ils ont eu pour manquer aussi cruellement d’endurance. T’as trop peur que quelqu’un découvre que tu n’as que 16 ans pour faire autre chose que profil bas.

Les mois passent et les années s’enchaînent. Tu t’absorbes dans la machinerie bien huilée de l’armée, tu joues le rôle d’un engrenage comme un autre, tu prends plaisir et fierté pour un boulot bien fait. Tu souris quand il faut, tu vas boire des verres avec tes collègues et refuses de les laisser marcher sur tes pieds. Tu vis une vie tranquille, selon tes propres standards un peu tordus. La vérité, c’est que les seules fois où tu te sens vraiment vivants, c’est quand les balles sifflent autour de toi, que les ordres fusent à travers ta radio et le bruit de tes battements de cœur couvre tout le reste. Ton esprit fuse, enfin présenté avec un puzzle assez complexe pour le sortir de son ennui, et tes muscles tressaillent de joie devant l’effort.


Quand t’as choisi cette voie, ça n’avait rien d’une vocation. La seule raison, c’est que t’avais bien compris qu’il fallait que tu t’échappes de ta maison décrépie, que tu fuies les poings rageurs et imprévisibles de ton père et le silence que trop prévisible de ta mère. Ce n’était pas le peu de sous que tu récoltais avec tes petits jobs qui allaient t’aider, du moins pas quand la plus grande partie servait à aider à payer les factures. Ce n’était pas non plus suffisant pour payer de futures études, peu importe la bourse que tu décrocherais. Non, il n’y avait pas trente-six mille moyens pour toi de devenir quelqu’un.

Etre militaire, c’est loin de tous les rêves d’enfant que tu as pu nourrir, allongé dans la pelouse sèche et poussiéreuse de votre misérable jardin. Toi, tu te voyais riche, comme ces gosses de l’école privée. Tu te voyais important : un politicien vertueux, un ingénieur charitable, quelqu’un qui changerait le monde pour le meilleur. Ces niaiseries, ton père les a détruites plus efficacement à coups de remarques cyniques que tout ce qu’il a pu casser d’autre en toi. La seule façon de te protéger de son poison c’était de te réfugier dans les rouages de ton cerveau et d’ignorer tes sentiments blessés : il ne pourrait pas les piétiner si tu décidais de ne jamais les laisser voir le jour.


On vient te recruter ; tu crois d’abord à une mauvaise blague. Tu n’as jamais rien fait pour attirer l’attention de qui que ce soit, encore moins de la CIA, mais il faut croire que ton avancée dans les rangs et ton taux de réussite parlent d’eux-mêmes. Comme pour tout le reste depuis cette première signature, tu te laisses porter par les événements et t’acceptes sans trop y réfléchir, te disant simplement que casser la monotonie dans laquelle tu t’es enfermé ne peut pas te faire de mal. C’est comme ça que tu te retrouves à Hawkins, petit coin paumé de l’Indiana, à travailler dans un labo secret qui aurait plus sa place dans un mauvais bouquin d’espionnage.

△ Prénom : Cécile
△ Pseudo(s) : Paigie
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