Ça ne pouvait pas continuer comme ça, depuis environ un mois Treize se terrait dans sa chambre, avec pour seule compagnie le chien d’Alexander. Les animaux, au moins, ça ne ment pas. Il se sentait toujours très mal mais, peut-être parce que la douleur dans ses côtes s’était finalement calmée, il commençait à vouloir changer les choses. Il était clair qu’il était plus en sécurité comme ça que dans les rues au final, s’il faisait le mort, personne ne viendrait le chercher. Cela dit, ce n’était pas une vie. À se perdre dans sa déprime, il en oubliait presque toutes les bonnes choses qui s’étaient offertes à lui depuis son évasion. Alex et Snow étaient toujours aussi adorables, et supportaient sa mauvaise humeur, le ciel était magnifique, surtout au petit matin et au crépuscule, le monde débordait de surprises, les musiques étaient un enchantement, et puis il y avait tous les gâteaux, les bonbons, et les glaces.

Non, pas les glaces.
Treize s’enfonça rageusement dans les draps, il avait beau avoir vu et revu la scène des centaines de fois dans sa tête, il ne comprenait pas. Rebecca avait agi comme la plus gentille des personnes qu’il aurait pu croiser. Ils avaient parlé, ri, pleuré même, elle lui avait appris des choses, sur le volleyball, les sucreries, sur elle aussi, tout ça dans le but de le piéger. Ça lui paraissait étrangement incohérent. C’était sans doute un peu naïf de sa part, mais pour le jeune homme, soit les gens étaient méchants, comme Solal et de nombreuses autres personnes qu’il avait croisé, soit elles étaient gentilles comme Alexander ou Noé. Rebecca elle, jouait un double jeu, et elle le faisait plutôt bien. Il n’aimait pas ça, parce que ça signifiait que même la plus douce des personnes risquait de se retourner contre lui, qu’il ne pouvait se fier à rien. Il fallait qu’il tire tout ça au clair, ça ne pouvait pas se passer comme ça.

Il avait pas mal observé la jeune fille depuis le void, mais pas sous la douche. Il avait même vaguement compris son emploi du temps à force, mais ce qu’il ne s’expliquait pas, c’était qu’elle paraissait toujours triste et perdue. Quand il l’avait vu, il avait trouvé qu’ils se ressemblaient un peu sur certains points, et ces ressemblances lui sautaient toujours aux yeux. Ce n’était pas comme ça qu’il imaginait ses ennemis. C’était l’après-midi, dans quelques heures, il savait que la jeune fille quitterait le lycée pour rentrer chez elle. Peut-être était-ce enfin le moment d’agir, de mettre tout ça au clair et de tirer définitivement un trait sur cette histoire.

Caché entre les arbres, Treize attendait depuis une vingtaine de minutes, jouant un peu avec l’écharpe qui maintenait son bras gauche plié contre son torse. Au fond, il aurait aimé que la jeune fille change ses habitudes et ne passe pas dans le coin. Il ne voulait pas de cette confrontation, mais elle lui était nécessaire pour avancer enfin. Et malheureusement, il la vit finalement passer tranquillement sur le chemin vers sa maison, qui n’était pas très loin puisqu’on la voyait d’ici. Ce à quoi il ne s’était pas attendu en revanche, c’était à ressentir soudainement une montée de rage et de frustration, tous ces sentiments qui s’étaient accumulé au fil du mois explosèrent finalement dans sa tête. La voir continuer tranquillement sa vie alors que la sienne s’était comme arrêtée lui parut d’une injustice sans nom, et c’est très remonté qu’il sortit de sa cachette.

« Tu m’as menti ! »

Il était un peu loin, mais ça n’empêcha pas le sac de Rebecca d’être arraché de ses épaules par une force brutale et invisible. Puis ce fut à la jeune fille d’être repoussée à son tour, encore et encore jusqu’à ce qu’elle tombe dans l’herbe.

« Je ne comprends pas. »

Treize ne l’écrasa pas au sol, il aurait pu pourtant, comparé à ses pouvoirs, la demoiselle n’était pas plus solide qu’une branche sèche. Il s’abstint pourtant, se contentant de la repousser à terre à chacune de ses tentatives pour se relever. Il était furieux et ça se voyait de loin, il n’avait jamais appris à maîtriser ce genre d’émotions, et c’est les dents serrées qu’il poursuivit.

« Tu as dit qu’on était amis, tu as parlé de tes parents, tu m’as fait manger des glaces. Et tu étais avec Solal tout le temps ! C’était faux, tout ça c’était FAUX ! »

Il avait fini par se mettre à hurler, même ses poumons en feux ne calmèrent pas ce déferlement de colère. Sur le dernier mot, une sorte de bourrasque énorme balaya l’herbe et les arbres alentours, faisant rouler Rebecca sur plusieurs mètres. Treize perdait le contrôle, il s’en rendit compte cela dit, sa main valide s’était posé sur sa poitrine douloureuse, et il reprit péniblement son souffle. Le calme retomba pour un temps, il se sentait fatigué, vide, et avait toujours l’impression de ne rien comprendre à tout ça. Qu’est-ce que Rebecca pouvait dire de toute façon, elle allait encore lui mentir. Il ne savait pas vraiment ce qu’il espérait trouver en venant jusqu’ici, si ce n’est une fille terrorisée par ses actes.

Il faisait froid …

Avançant d'un bon pas afin de ne pas trop traîner dehors, Rebecca pouvait voir le panache de fumée exhaler de ses lèvres à chacune de ses expirations, et ses mains profondément enfoncées dans ses poches peinaient à se réchauffer. Il n'était pourtant pas très tard encore – à peine la fin de l'après-midi – mais la température n'était déjà plus très clémente. Poussant chacun à se réfugier au chaud devant la cheminée ou sous un bon plaid, une tasse de café ou de chocolat brûlante entre les mains. De cette habitude anodine et réconfortante qui confinait presque au luxe aux yeux d'une Becca qui regardait à peine devant elle. Son regard braqué sur le sol qu'elle ne voyait pas réellement tant elle était perdue dans ses pensées. De ces pensées dont elle aurait pourtant aimé se protéger jusqu'à tout oublier.

Aussi lorsqu'une voix familière retentit derrière elle, la gamine ne put que sursauter légèrement tout en se retournant aussitôt, mais elle n'eut même pas le temps de confirmer l'identité de son agresseur que celui-ci venait déjà de lui arracher son sac par la pensée. La faisant tituber sous ce mouvement avant de la repousser encore et encore jusqu'à ce qu'elle tombât à terre. La repoussant chaque fois qu'elle essayait de se relever.

Treize …

Comme ses oreilles l'avaient supposé, son agresseur inopiné était bel et bien ce jeune homme qu'elle avait été contrainte de balancer à la CIA, et voir ses suppositions être confirmées lui apportait un curieux mélange de sentiments. Soulagement intense mêlé toutefois de peur, parce qu'elle savait aussi combien Treize pouvait être un danger létal pour elle s'il le désirait.

« Attends Treize, laisse-moi t'expliquer ! »

Lui expliquer comment, elle ne savait pas trop au juste, mais néanmoins, elle tenait à s'expliquer tout de même. À s'excuser aussi. Comme s'il y avait encore une chance infime pour elle de récupérer son ami …

Mais malheureusement, son interlocuteur ne semblait guère enclin à la discussion tandis qu'il continuait à l'accuser, et Becca se sentit bientôt projeter encore un peu plus loin. Son corps boulant dans l'herbe tel celui d'une folle poupée désarticulée tandis que la gamine sentit bientôt une douleur naître dans son épaule gauche. Sans doute due à la chute comme à ce roulé-boulé un peu violent. Mais pour l'heure, elle avait bien d'autres soucis, et ce fut sans même tenter de se relever qu'elle se contenta de s'asseoir dans l'herbe. Histoire de ne pas se faire balancer encore une fois.

« Non ce n'était pas faux, mais je n'avais pas le choix ! Et c'est pour ça que je t'ai dit que tu devais être prudent et ne rien me dire, parce que j'avais peur que Solal ne m'oblige à parler ! »

Clairement, Rebecca avait plusieurs fois enjoint Treize à la prudence, mais elle n'avait toutefois pas pensé que se revoir au sein même du lycée pourrait s'avérer aussi dramatique !

« Je suis vraiment désolée pour ce qui s'est passé, je ne pensais vraiment pas que se revoir pourrait être aussi dangereux mais … mais tu avais l'air de connaître ce mec, alors tu sais de quoi il est capable ! »

Effectivement à voir Treize se décomposer en découvrant l'agent de la CIA, il y avait de fortes probabilités pour qu'il l'ait déjà croisé, aussi devait-il également savoir de quelle trempe il était fait. Et tout ce que ça pouvait avoir comme conséquences d'ailleurs.

Treize observait la jeune fille d’un regard noir, les idées se bousculaient dans sa tête et l’empêchait d’y voir clair. Entre l’envie de la voir souffrir comme il avait souffert, et celle de fondre en larmes, il y avait une infinité de réactions possible, et il n’était pas décidé. Il était venu là sans plans, poussé seulement par le besoin de refermer la blessure qu’elle avait ouverte. Elle était là, maintenant, à terre, mais il ne se sentait pas mieux pour autant. Après avoir fait un roulé-boulé sans doute pas très agréable, Rebecca tenta de s’expliquer, il fronça sérieusement les sourcils en l’entendant. Qu’est-ce qu’elle lui racontait encore ? Elle n’avait pas le choix ? On a toujours le choix, non ? L’air autour d’eux sembla devenir plus dense alors que des mains invisible se saisissait de la jeune fille à nouveau.

« Tu pouvais le dire ! »

L’étau se resserra sur elle. C’était vrai ça, non ? Si elle lui avait parlé de Solal, ils auraient pris des dispositions pour limiter les risques. Ce choix au moins elle pouvait le faire, et puis, si elle n’avait pas parlé de lui à l’agent, ils n’en seraient pas là non plus.

« Solal est ton ami. »

Non. Quelque chose bouscula ses certitudes, il était trop en colère pour vraiment ressentir autre chose, que cela vienne de lui ou d’elle, mais ça ne collait pas. Pourquoi avait-elle peur que Solal la force à parler. Ce n’était pas logique, elle n’était pas un cobaye, donc que faisait-elle avec l’agent de la CIA, s’ils ne travaillaient pas de pair. Et pourquoi lui donnait-elle des informations. Il y avait clairement quelque chose qui lui échappait dans tout ça. Il lui manquait des pièces du puzzle, et Treize détestait les puzzles à trous. Elle ne lui avait pas tout dis, et aujourd’hui encore elle gardait pour elle tout un pan de l’histoire. Il serra les poings, et la pression augmenta encore d’un cran autour de Rebecca.

« Tu es avec ceux qui m’ont gardé enfermés tout le temps. Tu es comme eux ! »

C’était clair pour lui, il n’y avait pas de troisième camp, soit elle était avec le labo, et donc contre lui, soit c’était l’inverse. Elle ne pouvait pas être entre les deux, ça n’avait pas de sens.

« … mais tu avais l'air de connaître ce mec, alors tu sais de quoi il est capable »

C’était Solal qu’il aurait dû écraser comme ça, il en avait eu l’occasion. Il aurait dû s’occuper de lui, et d’elle ensuite. Ça aurait était simple s’il l’avait déjà fait. Là, la pression autour de Rebecca prit soudainement fin, et il regarda ailleurs, toujours autant sur les nerfs, même si son attitude semblait s’être un peu calmée. D’une voix plate, il lâcha.

« Je sais, oui. »

Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire, cela dit ? Qu’il l’avait torturé pour qu’elle parle ? Solal ne s’en prenait quand même pas à tous les gamins qu’il croisait pour leur faire avouer qu’ils avaient rencontré des gens étranges ou pas. Ce n’était pas possible. Il y avait forcément un lien entre ces deux-là, quoi que la jeune fille puisse lui dire. Il inspira un coup, et joua du bout du pied avec une pierre, il n’était pas doué pour être en colère. Ça ne lui ressemblait pas du tout. Tsss.

« Explique-moi, toi et Solal… »

Après s’être mis la pression, c’était maintenant la tristesse qui le submergeait. La dernière phrase de Rebecca résonnait encore en lui. L’agent de terrain était un vrai cauchemar, il en avait peur plus que tout autre chose au monde, et pourtant il avait le pouvoir de se défendre, au final. Mais elle, Rebecca, que pouvait-elle bien faire contre lui. Treize n’avait pas perdu son empathie, pour le meilleur comme le pire, et puis au fond, il espérait un peu que leur brève rencontre avait plus de sens, que ce n’était pas juste un piège énorme qui s’était refermé sur lui.

Plus Becca tentait de se justifier et plus Treize paraissait s'énerver en réponse, tel le miroir de la confrontation déjà difficile qu'elle avait eu quelques jours plus tôt avec Jim Hopper. À croire qu'il était écrit que tout son monde de mensonges devait s'écrouler en même temps afin de la plonger encore plus profondément dans son désespoir, mais elle n'eut cependant pas davantage le temps d'y penser qu'elle sentit un étrange étau se refermer sur elle. Se refermer puis se resserrer lentement mais sûrement sur son corps. Faisant presque grincer ses côtes tandis qu'il comprimait ses poumons au point de rendre sa respiration plus compliquée.

« Arrêtes s'il-te-plaît, tu me fais mal ! »

Elle respirait déjà plus difficilement, aussi commençait-elle à craindre que Treize continuât. L'exhortant ainsi à arrêter tout ça – à se calmer – tandis qu'elle sentit soudainement cette pression se relâcher. Lui arrachant une quinte de toux tandis qu'elle venait d'inspirer un peu trop vivement en réaction.

Mais malheureusement si le jeune homme avait arrêté, c'était pour mieux lui demander des explications tandis qu'il déclara comprendre d'une voix morne. De ces explications qu'elle ne pouvait pas vraiment lui donner. De ces explications qui … et merde …

« Je t'ai dit que mes parents étaient morts dans un accident mais … c'était pas vraiment un accident. C'est la CIA qui les a tué, pour m'obliger à venir ici pour espionner le shérif Hopper et essayer de trouver quelqu'un qui s'appelle Eleven. Ou alors toutes autres personnes étranges que je pourrais croiser. »

Après tout vu sa situation, ce n'était clairement pas Treize qui irait répéter ça à la CIA, et ce même si le fait de déballer son sac une seconde fois en si peu de jours était extrêmement douloureux pour Becca. Comme une plaie qu'elle aurait dû charcuter une seconde fois alors que la première cicatrisation avait à peine commencé. Et le pire était encore à venir vu qu'elle n'avait pas fini de s'expliquer.

« Je … j'ai rencontré deux personnes étranges ici : toi et une jeune fille qui s'appelle Autumn et … et Solal avait l'air de le savoir ! Je ne sais pas comment il a fait, mais il savait que je lui mentait quand je lui ai dit que je n'avais rien vu. Et … et j'ai … et il a … je suis tellement désolée Treize ! »

Elle était désolée, oui. Désolée mais aussi chamboulée au point de ne pas réussir à expliquer ni les menaces ni les violences, comme si le peu de fierté qui lui restait encore luttait pour enfermer ça loin. Très loin.

« Il m'a menacée et il m'a frappée … et il m'a dit qu'il ne me lâcherait pas tant que je n'aurais pas parlé alors … je t'ai balancé … parce que je me suis dit que tu t'en sortirais mieux que la petite … mais je n'ai rien dit pour Autumn … »

Malgré ce que lui avait fait Solal, Becca avait en effet conservé le secret concernant cette gamine, et même si elle n'espérait ni des remerciements ni des félicitations, elle tenait toutefois à ce que Treize su toute la vérité. Su combien elle était stupide et combien elle avait fait de très mauvais choix également.

Et si elle avait tenté de fixer le jeune homme durant son explication, Rebecca avait surtout détourner le regard bon nombre de fois. Finissant par s’abîmer sur l'herbe devant elle tandis que sa gorge se serrait. Que ses poings se resserraient. Et que sa voix hésitante se faisait de plus en plus faible au fur et mesure qu'elle parlait.

Un long silence suivit les explications de la jeune fille. Si Treize l’avait observé jusque-là en la laissant parler, tentant de percer à jour d’éventuels mensonges, il se détourna finalement en se prenant la tête dans les mains. Il soupira, c’était peut-être parce qu’un vrai tourbillon d’émotions mettait son pauvre cerveau à l’envers, mais il n’était pas sûr de tout comprendre. La CIA avait tué ses parents ? Et on la forçait à espionner Jim Hopper pour trouver Eleven ? Jim, l’homme qui avait sauvé Will Byers ? Et puis Autumn… Un instant de réflexion lui fut nécessaire pour lier ce nom à Five. Elle l’avait balancé lui pour épargner Autumn ? Ça faisait beaucoup, mais en même temps, qui serait assez fou pour inventer une histoire pareille. Rebecca n’était pas en position de mentir, elle n’avait pas l’attitude de quelqu’un en train mentir, elle ne mentait probablement pas. Alors Treize reprit les mots d’Alexander, lorsqu’il avait réagi à l’histoire plutôt sordide qu’il avait racontée sur sa vie au laboratoire.

« Putain de merde. »

Il ne comprenait pas trop pourquoi la CIA l’avait visé elle en particulier, ni pourquoi elle enquêtait spécifiquement sur Eleven, même s’il avait senti que cette petite était puissante, et avait bien plus de potentiel que lui sur certains points. Il n’empêche, qu’est-ce qu’ils allaient bien pouvoir faire maintenant ? Solal n’allait pas en rester là, il avait mis le grappin sur cette pauvre fille, et il n’allait pas la lâcher. Est-ce qu’elle allait aussi lui dire qu’il était revenu la voir ? C’était tout à fait possible.

« C’est ma faute, je dois cacher que je suis spécial. Tout ça ne serait pas arrivé. » Treize regarda ses pieds un instant. « Et ne pas me faire d’amis aussi… »

C’était un peu ce qu’il avait compris en parlant à Noé, ce qu’il fallait retenir de cette histoire. Les amis, c’était dangereux, et personnes ne devait savoir d’où il venait. Ici, même la moindre caissière pouvait secrètement recueillir des informations sur vous, il fallait toujours être sur ses gardes.

« Tu es blessée ? »

Maintenant que Rebecca avait parlé, Treize semblait nettement plus calme, et il n’essayait plus de la broyer avec ses pouvoirs, c’était déjà pas mal. Au lieu de ça, il s’approcha de la jeune fille et lui tendit son bras valide pour l’aider à se lever. Elle devait être assez secouée après ce qu’il venait de lui arriver, lui-même se sentait quelque peu fébrile, et sa poitrine lui faisait encore mal d’avoir crié. Une fois la demoiselle remise sur ses pieds, le cobaye commença à se demander sérieusement ce qu’ils allaient pouvoir faire pour s’en sortir. Cela dit, il y avait d’autres problèmes à régler avant d’en discuter. Treize n’avait pas besoin de regarder autour pour savoir qu’il n’y avait personne qui les écoutait. Il n’empêche, c’était dangereux de papoter là en pleine jour, alors que n’importe qui pouvait les voir. Le jeune homme n’aimait plus traîner dans les rues de toute façon, c’était trop risqué pour lui.

« On devrait se cacher pour parler. Si tu veux me parler. »

Il commençait à comprendre les bases de la prudence, à force. C’était déjà ça, il pouvait presque remercier Becca pour la leçon.

Entendre Treize avouer que tout était de sa faute parce qu'il n'aurait tout simplement pas dû se faire des amis ne manqua pas de blesser Rebecca, et cette dernière laissa échapper un léger soupire. Parce qu'après tout, elle non plus n'aurait pas dû se lier d'amitié avec qui que ce fût, mais elle avait pourtant été faible. De cette faiblesse qu'elle s'échinait pourtant à combattre depuis que ce jeune homme avait été agressé sous ses yeux, parce qu'elle se tenait désormais beaucoup plus éloignée. Ne communiquant que le strict minimum avec autrui. De ce choix lourd à vivre, mais elle n'en avait pas d'autre non plus …

« C'est ma faute également. Je n'aurais pas dû te parler et lorsque tu as utilisé tes pouvoirs, j'aurais dû stopper tout ça là pour ne pas en savoir plus. Et je n'aurais pas non plus dû te proposer qu'on se revoit … mais à ce moment-là, je n'avais pas encore rencontré Solal, alors je ne savais pas qu'il serait comme ça … »

Avant d'être mise en présence de Solal Astings, elle avait espéré pouvoir mentir afin de protéger autant le shérif Hopper que ces enfants étranges, mais après … après elle avait très nettement compris qu'elle ne pourrait pas mentir. Pas dissimuler. Pas tricher. Et si elle avait craint tout ce qui aurait pu lui arriver, elle s'était également rendu compte qu'elle avait été loin de s'imaginer combien sa vie allait devenir un cauchemar. Et un cauchemar qui même aujourd'hui – alors que Jim était au courant de tout – ne semblait toujours pas vouloir prendre fin. Laissant la peur s'immiscer profondément dans son âme comme un parasite.

« Je suis sincèrement désolée pour tout, Treize. »

Fautive, désolée et désespérée … le cocktail était assez détonnant, mais Becca était pourtant sincère avec son interlocuteur. Le dénoncer avait été la pire expérience de sa vie, et plus que s'excuser, elle aurait surtout voulu se rattraper.

Mais un instant plus tard, la jeune fille fut littéralement prise de cours lorsqu'il lui demanda si elle était blessée, et elle fixa donc quelques secondes sa main tendue. Figée. Comme si elle peinait à comprendre pourquoi il était en train de l'aider alors qu'elle l'avait foutu dans la pire des panades.

« Non ça va … merci … »

Plus de peur que de mal au final, et ce fut donc dans un sourire un peu forcé qu'elle saisit enfin cette main pour se hisser sur ses jambes. Époussetant sommairement son pantalon avant de regarder tout autour d'elle lorsqu'il proposa de se cacher pour parler plus avant. Et si Jim habitait effectivement un coin un peu isolé, il était évident que la prudence ne devait tout de même pas être oubliée.

« Tu connais un endroit tranquille ? »

Becca aurait pu emmener le jeune homme chez Hopper, mais elle ne préférait franchement pas. Après tout, elle n'était déjà pas en odeur de sainteté du côté du shérif, alors mieux valait ne pas en rajouter en ramenant quelqu'un sous son toit. D'autant plus lorsque la maison pouvait aussi être surveillée par la CIA. Et tandis qu'ils se mirent en route, la gamine força sur sa voix pour reprendre enfin la parole.

« Tu sais, je ferais tout ce que je peux pour lui cacher que je t'ai revu, surtout qu'il ne doit pas forcément s'y attendre … »

De la même manière qu'elle avait tout fait pour protéger Autumn, Rebecca allait également tout faire pour garder ces retrouvailles avec Treize secrètes. Sans trop savoir si elle y parviendrait d'ailleurs, mais … elle faisait ce qu'elle pouvait. Et elle essayait de se raccrocher à cette idée.

Rebecca n’aurait pas dû lui parler, elle aurait dû partir dès qu’elle avait vu ses pouvoirs. Était-ce vraiment ce qu’elle pensait ? Il ne voyait pas vraiment où était sa responsabilité dans toute cette histoire, c’était à lui de cacher son secret, à personne d’autre. Se fuir mutuellement les aurait peut-être sauvés cette fois, mais ça n’aurait pas empêché Treize de se faire remarquer par d’autres, ou Rebecca de dénoncer des enfants. C’était dur, ce qu’il leur arrivait, mais peut-être était-ce ce qu’il pouvait y avoir de moins pire. Après tout, Treize s’en était sorti vivant, et il n’était pas retourné au Centre, et Five allait bien elle aussi. Bon, il n’allait pas pousser le vice jusqu’à la remercier, mais d’une certaine façon, il avait beaucoup appris de toute cette histoire. Une fois remise sur ses jambes, le jeune homme fut rassuré de voir que sa camarade n’allait pas trop mal. Il n’aurait pas aimé la blesser gravement sur le coup de la colère, faire du mal aux gens n’était vraiment pas dans sa nature. Elle lui demanda ensuite s’il connaissait un coin tranquille, et il réfléchit un instant. Il ne pouvait bien évidemment pas l’emmener chez Alexander, ça aurait été suicidaire, il n’avait pas envie d’aller en ville non plus. C’était risqué, autant pour elle que pour lui s’il était vu ensemble.

« Il y a une cabane par là-bas. »

Après avoir montré vaguement du bras les bois devant lui, il ramassa le sac de Becca et le lui tendit, avant de s’enfoncer dans la forêt. L’adolescente reprit difficilement la parole, et il eut un mince sourire en entendant qu’elle tenterait de le protéger.

« Dis-lui que tu m’as vu, dis-lui même que tu me reverras. Ce sera mieux que de parler de mes frères et sœurs. »

Treize sentit son ventre se nouer rien qu’à l’idée qu’il pourrait retomber sur Solal, mais il restait déterminé à protéger les siens du mieux qu’il le pouvait. Si Rebecca devait parler, si vraiment elle ne pouvait pas mentir, alors autant que ce soit sur lui que ça tombe. Il allait falloir se la jouer fine à partir de maintenant. Après avoir marché un moment dans les broussailles, le duo atteignit un sentier qui serpentait entre les arbres, suivant ce petit chemin, ils se rapprochèrent d’un lac, et plus loin encore, d’une petite cabane de chasseur qui avait connu des jours meilleurs. L’aspect extérieur laissait franchement à désirer, mais cela avait le mérite de prouver que cet endroit était à l’abandon depuis déjà pas mal d’années. Treize y entra sans hésiter, la porte n’était même pas verrouillée. À l’intérieur, tout était vieux et un peu spartiate, mais il semblait que quelqu’un avait fait un brin de ménage et de rangement, ce n’était donc pas trop poussiéreux.

« J’ai commencé à ranger cette maison, je pensais faire venir mes frères et sœurs ici pour parler et travailler, mais ce n’est pas grave, ce sera pour nous. Il y a d’autres endroits. »

Près d’un vieux fauteuil un peu défoncé trônait la cheminée, Treize fit voler un peu de bois dedans, et ramassa une boite d’allumettes sur le manteau de pierre. Il en craqua une, puis une autre, et encore une autre sans que cela ne produise la moindre flamme. Se faisant, il continuait à réfléchir. Comment faire pour libérer Rebecca de cette vie qu’on lui avait imposée, tout en protégeant les siens. C’était une sacrée énigme, et pas mal de vies étaient concernées.

« Si je n’étais pas dans cet état, je piégerais Solal comme il m’a piégé. »

Quatrième allumette, celle-ci s’enflamma, Treize sembla tellement surpris qu’il la laissa brûler jusqu’à ses doigts, et la lâcha finalement avec un petit Aïe!. Elle s’éteignit avant de toucher le sol. Bien sûr, arrêter Solal et arrêter la CIA étaient deux choses bien différentes, mais avec son épaule en moins, le jeune homme avait quelques bonnes raisons de lui en vouloir.

« Qu’est-ce que tu aimerais, toi ? » Treize s’assit sur le rebord du fauteuil et regarda Rebecca un moment, l’air de la sonder. « Vraiment, après tout ce qu’il s’est passé, si tu pouvais faire quelque chose, tu ferais quoi ? »

C’était une sorte de petit test, on avait forcé cette jeune fille à agir s’il avait bien compris. Elle coopérait avec la CIA, ceux-là même qui avait tué sa famille, mais apparemment elle cachait certaines choses aussi, comme Autumn. Cela rendait son rôle dans l’histoire assez flou au final. Maintenant qu’il n’était plus en train de l’attaquer physiquement, Treize espérait une réponse sincère, pour savoir s’il pouvait lui faire confiance ou pas.

Une fois debout sur ses jambes, Rebecca réceptionna bientôt son sac dans un léger remerciement, puis les deux jeunes gens se mirent en route dans la forêt. Suivant ainsi un petit sentier à peine visible – surtout pour une citadine comme elle – mais qui avait au moins l'avantage de les mener loin de Hawkins. De les isoler. Comme si s'enfoncer ainsi dans les bois pouvait offrir à la gamine la sensation d'être moins exposée et moins en danger.

Mais lorsque Treize lui annonça qu'elle pouvait le dénoncer à Solal et qu'il préférait encore se faire balancer lui plutôt que ses frères et sœurs, Becca sentit son estomac se nouer. Un regard empli de remords se posant sur le dos de ce jeune homme qui la précédait sur cet étroit sentier. Le dénoncer ? Pour qu'il se fît agresser une seconde fois et que les cauchemars fussent encore plus vifs ? Ou alors pour que Astings perdît son temps sur de fausses pistes et passât ses nerfs sur elle ? L'un comme l'autre, la gosse préférait largement se taire, parce que c'était là la solution qui lui paraissait encore être la ''moins pire'' de toutes.

« Mouais, je préfère pas non … s'il t'attrape ou te tue, je ne me le pardonnerai pas. Et s'il te loupe, il risque de se venger sur moi … comme la dernière fois. »

Comme elle l'avait supposé à l'humeur de chien de l'agent de la CIA, il avait donc échoué à capturer Treize, et Rebecca en avait largement fait les frais ! Quoi que, en décidant de refuser de lui parler à ce moment-là, elle avait également choisi le pire des instants pour cette petite rébellion, raison pour laquelle elle avait ensuite largement baissé la tête et fermé sa gueule. Histoire de se faire petite. Toute petite …

Et quelques instants plus tard, ce fut une cabane délabrée qui s'offrir à leur regard, et la gamine y entra avec prudence. Ses yeux balayant la construction vieillotte comme pour s'assurer qu'il n'y avait aucun danger à entrer là-dedans. Mais pour le coup, l'intérieur était effectivement vieux mais il était toutefois propre, et elle s'assit finalement en face de la cheminée. Récupérant bientôt la boite d'allumettes avec un « Attends laisse, je vais le faire » avant d'en craquer une puis de la jeter dans l'âtre. Les bûches grésillant un instant avant de finalement s'enflammer dans un ronflement. Avant que Treize ne lui posât également une question qui la laissa songeuse. Son regard se perdant dans les flammes tandis qu'elle réfléchissait intensément.

Qu'est-ce qu'elle aimerait ?
Si elle pouvait faire quelque chose, que ferait-elle ?

Autant dire que sous ses abords simples, cette question était toutefois épineuse pour elle, et sa voix se fit lointaine tandis qu'elle commença à répondre avec hésitation.

« J'aimerais que rien de tout cela n'existe. Qu'il n'y ait pas de laboratoire, pas de CIA, et que mes parents soient toujours en vie … »

Un doux rêve de gosse, et un rêve qu'elle savait impossible …
Mais pour le coup, l'interrogation de Treize lui posait un réel travail de réflexion parce que depuis toutes ces semaines, Becca en avait souhaité de moins en moins. Passant d'un bel idéal de ''s'en sortir le mieux possible'' pour aujourd'hui … pour aujourd'hui souhaiter simplement ne pas mourir. Pas tout de suite. Et ce même si Hopper avait été bien cruel en lui affirmant que personne n'échappait jamais à la CIA.

« Je sais pas trop … ta question est compliquée, parce que j'aimerais plein de chose en fait. J'aimerais que tu puisses – toi et tes frères et sœurs – vivre tranquilles et sans avoir besoin de se cacher. J'aimerais pouvoir t'aider pour me racheter de t'avoir balancé. J'aimerais que tu redeviennes mon ami … j'aimerais d'ailleurs pouvoir parler juste à des gens sans risquer de les mettre en danger. J'aimerais que Jim arrête de me détester. J'aimerais … j'aimerais beaucoup trop de choses … et surtout toutes des choses qui ne sont pas possibles … alors à quoi bon y penser ? »

Elle était bien négative, la gamine, mais comment aurait-il pu en être autrement ? Si la mort de ses parents avait déjà été une épreuve terrible pour elle, cette vie d'espionnage à Hawkins n'avait pas non plus amélioré son moral … et Hopper avait en plus balayé violemment ses dernières illusions. La laissant là, assise sur le parquet usé, le regard perdu dans les flammes qu'elle ne semblait même pas voir tant elle avait l'air paumée.

« D'ailleurs, je sais pas si tu as des contacts avec les autres mais … préviens-les qu'ils ne doivent surtout pas s'approcher de moi. »

Si elle ne savait rien, elle ne pouvait rien dire. Et même si Solal n'apprécierait justement pas son manque d'efficacité, c'était encore ce qu'il y avait de mieux pour sa conscience … le peu qu'il lui restait en tout cas.

Le feu brûlait dans l’âtre et Treize regardait les flammes, l’air un peu hypnotisé. La chaleur qui s’était répandue dans la petite pièce était en tout cas bienvenue. L’hiver était loin d’avoir touché à sa fin, et dès que le soleil quittait le ciel, un froid piquant venait titiller la peau. La réponse de Rebecca laissa Treize très pensif, il ne s’était pas attendu à une liste aussi longue. Cela dit, ses paroles trahissaient à quel point elle était tiraillée à l’intérieur. Ça lui fit beaucoup de peine, Rebecca n’avait peut-être pas de pouvoirs, mais elle était tout autant torturé par la CIA que ses frères et sœurs. C’était différent, mais tout de même. Dès qu’il l’avait vu, Treize avait sentit qu’ils n’étaient pas si différents, maintenant il comprenait mieux pourquoi.

« Il faut y penser. » Lâcha-t-il quand elle eut fini. « Il faut que tout ça devienne possible. »

Comment, c’était la question, et certaines choses ne pourront sans doute jamais devenir réalité. Les parents de Rebecca ne reviendront pas, et la CIA était bien trop tentaculaire pour être éliminée. Mais ce n’était pas une raison pour abandonner d’avance. Treize était toujours à chercher des solutions quand l’adolescente reprit la parole.

« D'ailleurs, je sais pas si tu as des contacts avec les autres mais … préviens-les qu'ils ne doivent surtout pas s'approcher de moi. »

Le cobaye hocha la tête, il avait déjà averti ceux qu’il avait pu croiser, cela dit, ça posait un autre problème.

« Mais… si tu ne trouves rien sur nous. Tu sais ce qu’il va t’arriver ? »

Rebecca semblait vouloir en dire le moins possible, et c’était une bonne chose. Mais même si ça pouvait sans doute marcher pendant un temps, qu’allait-il se passer si au final, la CIA la jugeait inutile. Elle savait beaucoup de choses sur les sujets d’expérience, c’était d’ailleurs de sa faute. Il lui en avait apprit énormément lors de leur première rencontre, et ce faisant, il l’avait peut-être condamnée à mort. Jamais le Centre n’allait la lâcher maintenant. Alors il fallait trouver un moyen pour protéger tout le monde, pour réparer ses bêtises. Ce n’était pas gagné du tout. Il pensa d’abord à mener la CIA sur de fausses pistes, mais c’était sans doute une très mauvaise idée. Si Solal s’en rendait compte, il n’osait imaginer ce qu’il adviendrait de la jeune fille. L’idéal serait de pouvoir donner de vraie pistes à Solal, mais en s’assurant bien qu’il ne puisse pas attraper qui que ce soit, ou de créer des fausses pistes qui soient vraiment crédibles. Ça demandait réflexion, Treize se détourna du feu pour regarder la jeune fille.

« Il nous faut un plan. »

Il se leva, et fit quelques pas lents dans la pièce en se demandant par où commencer.

« Il faut devenir plus fort, apprendre à se battre et à courir. Trouver une arme pour te protéger. »

Le jeune homme faillit parler de Quinze, elle aurait vraiment pu les aider sur ce point-là. Elle savait se battre et connaissait les endroits où taper pour faire mal, c’était ce qu’il leur fallait. Mais il ne pouvait pas dévoiler ce nom-là devant Rebecca, la CIA la croyait morte, ça ruinerait sa couverture. Et puis Quinze avait de gros à priori sur tout ceux qui travaillaient pour cette organisation, elle le tuerait si elle apprenait qu’il lui avait dit son nom. Et il aurait largement mérité ce triste sort.

« Il faut aussi trouver ce que tu peux dire ou pas à Solal, et comment cacher des choses. »

C’était sûrement la partie la plus compliquée, Treize connaissait un peu les méthodes de l’agent, il ne doutait pas que Rebecca soit terrorisée par cet homme, tout comme lui pouvait l’être. Il allait lui falloir beaucoup de force mentale pour qu’elle parvienne à lui résister. Il se passa une main dans la main dans les cheveux, toujours pensif.

« Tu peux sûrement t’entraîner pour ça aussi. Si tu arrives à fermer ton esprit avec moi, tu pourras peut-être avec Solal. »

C’était une possibilité, en tout cas ça ne lui paraissait pas si bête. Apprendre à résister aux intrusions d’un télépathe pourrait être un exercice intéressant pour la jeune fille. Solal avait certainement été entraîné à discerner le mensonge dans l’attitude de quelqu’un, mais Treize pouvait aller beaucoup plus loin que ça. S’il elle parvenait à lui résister, peut-être aurait-elle plus de chance face à lui.

« Moi, tu pourras m’entraîner à résister à ça. » Fouillant dans ses poches, il sortit une sorte de sifflet bizarroïde. « Solal s’est servi de ça pour m’attraper, ce bruit me fait mal. Il me fait perdre le contrôle. »

Spoiler:

Il fallait y penser pour que tout cela devînt possible …
Malgré la pression qu'elle ressentait, Rebecca ne put s'empêcher de laisser filtrer un semblant de soupir amusé face à cette réaction ô combien naïve de Treize. Rictus amer de ses lèvres tandis qu'elle contemplait toujours le foyer. Ses épaules se haussant bientôt dans un mouvement las lorsqu'il lui demanda ce qui lui arriverait si jamais elle n'apportait pas d'informations à Solal. Mais après tout, le jeune homme devait sans doute très bien s'en douter, aussi était-il inutile de lui répéter toutes les menaces qui pesaient sur elle. Inutile de lui confirmer que – effectivement – elle était dans la merde !

Mais si la gamine s’abîmait présentement à broyer du noir, Treize ne tarda pas à s'agiter en déclarant qu'il leur fallait un plan, et Becca fronça vaguement les sourcils tout en le suivant du regard dans ses va-et-vient. Ne comprenant pas trop où il voulait en venir même si elle l'écoutait attentivement.

« Je suis sportive, je sais courir, mais je suis pas sûre que ça soit vraiment utile contre cet homme. J'ai une arme également puisque j'ai pris avec moi le revolver de mon père mais … mais même dans cette situation, je sais pas si je serais capable de tirer sur quelqu'un. »

Si son interlocuteur était candide et idéaliste, nul doute que la gamine l'était aussi. Pointer une arme sur quelqu'un était ainsi un acte qu'elle n'envisageait pas, alors tirer semblait encore plus inconcevable ! Sans compter qu'elle n'était pas idiote au point de penser que Astings était le seul agent de la CIA en ville, et si jamais elle ruait trop dans les brancards, elle craignait clairement ce qui pourrait lui arriver.

Quant à lui cacher des choses … même si elle déployait tous les efforts qu'elle pouvait, le fait était que Rebecca n'avait jamais été une menteuse – quoi que Jim ait pu lui dire – ce qui rendait ses tentatives de dissimuler la vérité d'autant plus pitoyables. Mais après tout … pourquoi pas ?

« Je sais plus quoi lui dire, je le trimbale déjà depuis quelques temps à lui raconter de la merde, mais là je suis à cours d'idées. Je ne peux rien lui dire d'important mais … si le mensonge est trop gros et qu'il s'en rend compte, il va me le faire payer. Je sais déjà même pas comment j'ai réussi à lui cacher pour Autumn … »

De cette victoire aussi minuscule que stupide, mais de cette victoire quand même ! Après tout, cela faisait déjà un peu plus d'un mois qu'elle cachait cette information à Solal, et elle tentait désespérément de se rattacher à ça pour tenir encore. Pour grappiller un jour, puis encore un jour, puis encore un jour. Jusqu'à quand et jusqu'à quel événement, elle ne le savait franchement pas. Mais depuis son arrivée à Hawkins, Becca avait totalement cessé de se projeter. Et les derniers événements amplifiaient encore ce phénomène !

« J'ai jamais menti avant, donc je dois certainement être une très mauvaise menteuse. Je sais pas trop ce que tu pourras faire pour ça mais si tu as une idée, je suis prête à tester. »

Prête à grappiller encore quelques jours. De secret comme de survie. Tandis que Treize sortit bientôt un étrange sifflet de sa poche. Sifflet que la gamine attrapa doucement entre ses doigts – comme si elle craignait d'être blessée en le touchant – avant de le faire tourner comme pour mieux le regarder.

« Comment ça il te fait mal ? Qu'est-ce que c'est exactement ? Et si ça te fait mal, tu es sûr de vouloir l'utiliser ? »

Mais après tout, il n'avait pas non plus dit que cet entraînement pour ''fermer son esprit'' serait sans douleur, et vu ce qu'il lui avait raconté sur le laboratoire, elle doutait clairement que ça pût être agréable. Ou comment comprendre que ces gens-là semblaient avoir énormément souffert là-bas …

« Dis, qu'est-ce que tu voudrais toi ? J'ai l'impression que t'es prêt à partir à la guerre là, mais tu comptes quand même pas les attaquer ? »

Là où elle-même ne souhaitait que fuir et se terrer dans un terrier, Treize semblait au contraire bien décidé à attaquer. Comme Hopper également d'ailleurs. Et quelque part, Becca trouvait vraiment ça flippant. Et contraire à toute idée de survie également.