Tu fais de ton mieux pour t’endurcir, pour ne pas défaillir dès qu’une question te sera posée. Tu es fragile, aussi fragile que de la porcelaine et tu sais que tu briseras en mille morceaux au moindre choc trop violent. Tu tentes de carrer les épaules, de te rendre rigide pour ne pas flancher. Il n’y a, cependant, pas grand-chose que tu puisses faire. Tu n’es qu’une adolescente perdue et terrorisée, blessée et meurtrie. En cet instant encore plus car tu te dévoiles comme jamais tu ne l’as encore fait, à une personne étrangère à ton père. Tu aurais apprécié te confier à ton père, tu aurais aimé qu’il soit le premier à apprendre ta mésaventure terrible. Mais voilà. Tu n’es pas une bonne fille, ce n’est pas une bonne nouveauté. Mais plus encore que cela, tu n’es pas une bonne personne en général. Tu préfères trop souvent les actions aux mots, tu n’es pas douée avec les belles paroles et les mots doux. Tu es trop abrupte, tu es trop franche. Et c’est pour cette simple raison que tu refuses de te confier à ton géniteur. Il se fait déjà suffisamment de soucis pour toi. Comment enjoliver cette vérité si moche, si laide ? Il ne le prendrait pas bien, tu le sais. Alors tu t’entêtes dans ce silence néfaste, qui te nuit plus qu’il ne te réussit véritablement. Ton coeur palpite, tes poumons s’excitent et réclament plus d’air encore. Tu es contrainte d’abdiquer face à ces organes vitaux capricieux. Tu t’avachis un peu plus sur ton fauteuil, ne te souciant pas du regard réprobateur que pourrait te lancer l’adulte. Tu fatigues, la panique et l’angoisse te vident lentement de ton énergie. Le manque de repos durant les nuits passées aussi, mais aujourd’hui c’est vraiment ta sensiblité d’écorchée-vive qui aura raison de toi.

« Je ne vais pas te poser des questions faciles, et si tu ne veux pas répondre, il n’y a pas de problèmes, d’accord ? »

La voix de Mrs Mannings t’ancre à nouveau sur terre, t’empêchant de te perdre dans les méandres sombres de ton esprit. Tu poses ton regard rougit par les larmes sur elle et clignes des yeux bêtement quelques instants. Puis, lentement, comme si tu hésitais encore, tu hoches la tête. Tu as envie de protester, tu as envie de fuir. Mais pour une fois, tu luttes contre tes instincts pour accorder ta confiance entière à ton interlocutrice, pour ne pas etre aussi faible que ce que tu peux être habituellement. Tu restes donc silencieuse, te mordillant la lèvre inférieure jusqu’à ce qu’un goût métallique commence à courir sur ta langue. Tu grimaces. Merde. Toute nerveuse que tu es, tu entames la chair de ta lèvre fine pour faire passer cette sensation désagréable. Tu attrapes un nouveau mouchoir pour éviter d’en mettre partout, adressant un sourire gêné et timide à Mrs Mannings. Cette dernière n’est pas dérangée par ton acte aussi stupide qu’enfantin, car la voilà qui enchaine.

« Mais puisqu’il y a quelque chose ici, il faut qu’elle soit arrêtée. Et en t’échappant, tu as prouvé que tu étais plus forte qu’elle. Et je te demande d’être courageuse, encore. »

La conviction de la principale te fait plaisir. Tu te sens immédiatement moins seule dans ce qui te semblait – jusque-là – être une situation sans issues viables. Tu respires un peu plus facilement, les battements de ton coeur ralentissent pour adopter un rythme plus sain. Tu lui souris faiblement, encore une fois. Et tu attends qu’elle se lance. Chose qu’elle ne tarde pas à faire.

« Est-ce que… Elle semble gênée et a l’air d’avoir du mal à aller jusqu’au bout de sa question. Elle s’éclaircit la gorge avant de reprendre. Qu’est-ce qu’il t’a été fait, pendant que tu étais retenue là-bas ? »

Il ne t’en faut pas plus pour te perdre à nouveau dans tes pensées, pour aller piocher ici et là dans tes souvenirs. Qu’est-ce que ce monstre a bien pu te faire subir ? De quoi d’autre as-tu été la victime ? Tu réfléchis, tu te tortures les méninges. Pendant l’espace d’un instant, tu as la désagréable impression d’être à nouveau là-bas, que tu respires encore une fois cet air si lourd, si étranger. Ta main libre, posée sur l’accoudoire du siège, se crispe. Tellement que tes phallanges en deviennent toutes blanches. Ton souffle se coince dans tes bronches alors que tu cherches une réponse à donner. Que tu cherches la vérité. De nouvelles larmes naissent au coin de tes yeux, mais tu les retiens en clignant frénétiquement des paupières. Tu n’as pas le temps d’être faible. Il te faut trouver une réponse, la vérité … Et la vérité est que tu ne sais pas grand-chose, en réalité. Et cela te contrarie grandement. Tu grognes, la mâchoire serrée. Ta main se décrispe pour passer sur ton visage coloré par tes pleurs passés.

« J’en sais trop rien. avoues-tu dans un souffle. J’me suis réveillée là-bas, j’avais un peu de mal à respirer et j’étais toute poisseuse. »

Tu marques une courte pause, prenant grand soin à ne passer au-dessus d’aucun détail. Puis tu reprends d’une voix toujours aussi mal assurée.

« J’l’ai pas revu depuis qu’il m’a emmenée … J’l’ai vu quand il m’a assommée, mais après non. J’me suis surtout cachée pour pas retomber sur cette chose … J’avais… - »

J’avais trop peur, veux-tu dire. Mais si tu te l’avoues à toi-même, tu n’oses pas encore le crier sur tous les toits. Tu t’éclaircis la gorge, tu renifles.

« Puis j’ai courru dès que j’ai pu. J’ai cherché une sortie pendant environ trois jours avant de me retrouver dans les bois … Au vrai Hawkins, pas la version morte et froide de la ville. »

Ces quelques explications succintes te ramènent au soir de ton grand retour. Tu te souviens d’avoir longuement pleuré contre le sol humide de la forêt, d’avoir marché jusqu’à l’appartement de ton père. Tu te souviens surtout du regard mort d’inquiétude et soulagé que celui-ci t’a lancé quand il t’a vue rentrer. Tu te souviens t’être écroulée sous l’eau de la douche beaucoup trop chaude, pleurant à chaude larmes alors que le bruit des gouttes s’abattant au fond de ta baignoire cachant le son affreux de ta détresse.

« J’crois que papa se doute de quelque chose … ajoutes-tu dans un murmure, comme si Mrs Mannings n’était pas destinée à saisir ces quelques mots. Mais il peut pas savoir, il se ferait trop de soucis, beaucoup trop de soucis. »

Tu passes une main sur ton front tordu par l’inquiétude. Tu adresses un regard implorant à la principale, comme si elle seule détenait toutes les solutions à ton problème.

☾ anesidora

Tu trembles presque de peur, de détresse sur ton fauteuil incorfortable. Personne ne peut te protéger de ce monstre qui se cache dans l’ombre, qui prend toujours plus que ce qu’il ne devrait. Tu fais partie des dommages collatéraux, tu es un véritable pot cassé. Et il est fort difficile de rassembler les morceaux, de les recoller sans se couper le bout des doigts. Tu le sais, mais tu ne peux t’empêcher d’espérer que quelqu’un aura suffisamment de patience et d’habilité pour s’atteler à la tâche. Tu ne veux pas que ce soit ton père qui doive s’y coller. Il a déjà tant fait pour toi. Beaucoup trop. Quand ta mère est partie, il a été là pour toi. Il a été la victime de ta colère, il a été le punching ball que tu n’as jamais désiré, mais que tu avais sous la main. Il a été le remplacement de ta mère de bien des façons, aucune d’elles saine. Tu l’as fait souffrir comme tu souffrais, tu lui as crevé le coeur comme ta mère t’a crevée le coeur. Tu es l’adolescente demandeuse et violente que personne n’a jamais souhaité rencontrer, ton père encore moins et tu lui as imposé tes humeurs terribles et destructirces. Tu lui as tant fait payer une faute pour laquelle il n’est pas responsable, tu es tout bonnement incapable d’aller le voir à ce jour pour lui raconter ce qui t’est arrivé. Tu ne peux pas jeter encore plus de poids sur ses épaules, tu ne peux pas l’accabler davantage. Il ne mérite pas ça, ton père. Il mérite tellement mieux. Une meilleure fille, une meilleure vie. Tout ce que tu ne peux te résoudre à lui donner. Alors non. Vraiment, tu ne peux pas lui en parler. Il n’y a vraiment que Mrs Mannings qui peut t’aider. Et peu importe ce que peut te dire la principale, tu ne diras pas un mot de tout ça à ton père.

« Oh Billie. commence-t-elle dans un soupire. Ton père doit déjà se faire énormément de soucis pour toi. »

Tu le sais déjà, ça. Tu ne te fais pas d’illusions, tu ne te voiles pas la face. Tu sais que Charles Keynes s’inquiète beaucoup trop à ton sujet. Tu es sa fille, c’est une chose qui est donc normale. Il s’inquiète pour la chair de sa chair. Rien de bien surprenant. Il serait normal que tu te confies à lui, il serait normal que tu lui avoues tes craintes et ce que tu as vu. Mais tu as déjà été trop capricieuse, tu ne peux pas lui en demander plus.

« Et il ne pourra pas t’aider, s’il ne sait pas ce qu’il s’est passé. Je sais que votre relation n’est pas reluisante, mais tu as besoin d’être protégée et entourée, plus que jamais. Et j’aimerais te savoir en sécurité, s’il-te-plait ? »

Tu ne lâches pas l’affaire. Une moue mécontente et contrariée étirant les traits de ton visage, tu secoues la tête avec conviction. Tu retires ta main de l’étreinte rassurante que Mrs Mannings t’offre, te sentant à présent sur la défensive. Tu lui lances un regard noir, les lèvres pincées.

« Non ! Il ne peut pas savoir ! »

Et c’est ta décision. Tu ne reviendras pas dessus. Mrs Mannings ne pourra pas te convaincre du contraire. Tu sens la colère qui monte en toi à l’idée d’exposer ton père à un tel danger. Tu le connais, tu sais qu’il partira sur les traces de ton périple dangereux. Il cherchera la chose, il chassera les ombres juste pour que tu te sentes en sécurité. Mais il ne fait pas le poids, personne ne fait le poids ! Tu ne peux donc pas lui dire quoique ce soit ! Il faut que tu le protèges, comme il a tenté de te protéger durant des années. Alors non, tu ne lui diras rien. Son ignorance le protège, le rend moins vulnérable. Et Mrs Mannings ne comprend pas. Ce fait là te met aussi en colère. Tu pensais qu’elle comprenait. Mais elle ne comprend pas ! Elle ne comprend pas ! Tu ne peux pas t’en empêcher, tu exploses littéralement. Tu bondis hors de ton siège, ne te souciant guère du fait que tu aies pu bousculer l’adulte ou non. Tu te mets à faire les cents pas, comme un lion qu’on aurait forcé dans une cage.

« J’pensais que vous compreniez, mais non ! Vous ne comprenez pas ! »

Tu ne fais plus attention aux mots qui sortent de ta bouche, tu ne peux que laisser ta frustration s’exprimer. Tu marches, toujours et encore, inlassablement. Et tu parles sans réfléchir, tu cries presque, mais pas vraiment. Tu es juste en colère, terriblement frustrée.

« J’plaisante pas ! Je suis pas folle ! Mon père peut pas me protéger, ça le mettrait en danger de savoir ! C’pas une blague ! Il ne peut pas savoir à propos de ce monstre ! »

Et tu lances un regard furieux à la brune, te sentant à la fois blessée et trahie par ce manque évident de compréhension.

☾ anesidora

La colère te rend sauvage et te fait oublier les bases de la politesse. Tu rumines, tu fais les cent pas, tu fulmines. Tu n’es plus sûre, tu ne sais plus si tu peux vraiment appeler cette émotion violente de la colère, tu te demandes si ce n’est pas la rage – pure, dure – qui t’agite de cetta manière. Tu n’y réfléchis pas trop, cependant. Tes pensées ne sont pas suffisamment calmes pour te le permettre, l’adrénaline et l’émotion, toutes deux bien trop intenses pour que tu puisses leur résister, te rendent presque folle. Tu en oublies ton attitude respectueuse à l’égard de la principale, tu abandonnes la politesse. En l’espace de quelques secondes, tu as complètement changé. Tu n’es plus aussi calme, tu n’es plus aussi désespérée. Tu seras tout ça ce soir, le coeur brisé par cette détresse désarmante et cette peur agonisante. Tu seras en pleurs ce soir, cachée sous ta couette, recroquevillée sur ton matelas. En cet instant précis, il n’y a que cette fureur sourde à l’idée que ton père puisse être mis au courant de cette sordide histoire. Tu ne lui diras rien, entêtée que tu es. Pas un mot de tout cette aventure terrorisante ne s’échappera d’entre tes lèvres. Parce que pour une fois dans ta vie tu veux faire quelque chose de bien. Parce que pour une fois dans ta vie tu veux être la fille que ton père mérite. Et rien de ce que pourra dire Mrs Mannings n’ébranlera cette détermination dont tu fais preuve. Tu vois au fond de ses yeux la sévérité et l’autorité. Et tu sens ton poil qui se hérisse. Ce regard, tu ne l’as jamais supporté. Tu ne le supportes toujours pas. Tu lui adresses une grimace mécontente, un rictus contrarié et tu te retiens de lui présenter ton majeur dans un geste désinvolte.

« Billie. »

Ton prénom roule sur sa langue telle une réprimande que tu ne supportes pas d’entendre. Tu t’arrêtes dans tes gestes frénétiquement nerveux, te tournant totalement vers. Au fond de tes yeux bleus, la tempête fait rage, la mer se déchaîne et les éclairs frappent. Tu as envie de hurler, tu as envie de détruire ce bureau que tu trouves trop bien rangé, trop propre. Tu as envie de laisser ta colère se déverser sur la femme qui te fait face, comme pour la faire descendre du piédestal sur lequel elle s’est à nouveau perchée. Mais il n’y a que ta voix qui vient lui répondre. Tu aboies, aussi sèche que tu peux l’être, aussi détestable que tu ne l’as jamais été.

« Quoi ?! »

Si un regard pouvait tuer, Mrs Mannings serait tombée raide morte à ce moment. Fort heureusement pour l’adulte, tu ne fais que la fusiller du regard en un signe de rebellion relativement inoffensif. Tu as toujours cette soif de violence, de désordre pour refléter ton conflit intérieur. Tu grinces des dents, tu reprends ta marche inlassable. Tu as l’air d’une folle dans ce bureau trop bien organisé. Tu l’es peut-être un peu. Mais cela t’importe peu. Ton coeur est à la bonne place, tu sais que tu as raison de vouloir protéger ton géniteur. On ne pourra pas te le reprocher. Tu ne pourras pas te le reprocher. Et c’est bien là l’essentiel. Car tu es ta pire ennemie autant que tu es ta meilleure alliée, Billie. Tu en as conscience. Et c’est une chose avec laquelle tu composes tant bien que mal.

« Tu n’as pas à traverser cette épreuve toute seule, contrairement à ce que tu penses. C’est ton père, ce n’est pas à toi de décider de ce qu’il peut supporter ou non. Si cette chose qui te poursuit peut s’en prendre à n’importe qui, alors il est potentiellement en danger. Tout le monde l’est. »

La voix de l’adulte te sort de tes furieuses tergiversations. Ton regard foudroyant se pose à nouveau sur elle, ta mâchoire se crispe. Ton sang ne fait qu’un tour et dans un gest complètement incontrôlé, tu donnes un coup de pied dans le fauteuil que tu occupais plus tôt. Tu es furieuse, tout bonnement furieuse.

« Non ! Non, non, non ! t’écries-tu sauvagement. Qui êtes-vous pour me dire ce que j’dois dire à mon père ?! Vous m’connaissez pas ! Vous l’connaissez pas ! Vous pouvez rien me dire ! J’suis très bien toute seule, j’ai besoin de personne ! »

Tu n’es qu’une vilaine menteuse, Billie. Tu as terriblement besoin de quelqu’un. C’est une question de vie ou de mort, ta survie dépend d’une potentielle présence pour te tirer de ton désespoir poignant. Mais voilà. Tu es aussi d’une mauvaise foi hallucinante. Tu renifles dédaigneusement alors que tu repousses violemment cette main tendue, aveuglée par ta rage. L’adulte poursuit son discours moralisateur, te rendant plus agitée encore.

« Il vaut mieux être prêt au pire des cas, Billie. Le proverbe l’union fait la force n’est pas une phrase en l’air. Tu n’es pas seule. Ce qui t’affecte, affecte tous ceux qui sont autour de toi. Estimer que quelqu’un ne mérite pas d’être tenu au courant, pour une cause aussi noble que celle que tu avances… il n’en reste pas moins que c’est un affront que tu lui fais. Ton père tient à toi, Billie. Et il y a quelque chose contre laquelle tu ne pourras jamais lutter, c’est le besoin qu’il a de te protéger. »

Et la colère ne cesse de te brûler, la fureur bouillonne presque jusqu’au point de l’explosion. Tes joues se colorent sous l’émotion si destructrice. Tu donnes un nouveau coup de pied dans la chaise que tu as renversé plus tôt.

« Non ! J’ai besoin de personne ! »

Tu insistes, tu persistes et tu signes. Tu mens encore et toujours. Mais ce n’est que pour mieux te protéger, pour te préserver de cette déception qui te mine de l’intérieur. Tu pensais pouvoir faire confiance à Mrs Mannings, tu pensais qu’elle pourrait t’aider … Mais tu t’es trompée et cela te brise à l’intérieur. Tu es si déçue, tu te sens trahie. Tu as tant de mal à faire confiance, tu as essayé, l’essai n’a pas été concluant. On ne t’y reprendra plus.

« Ravalez vos leçons de morale, j’m’en fous ! Papa a pas besoin de savoir ! J’pensais pouvoir vous faire confiance, ah ! »

Tu arrives à bout de souffle, la colère te donnant l’impression d’avoir couru un marathon. Tu t’accroches à ta désinvolture, à ton attitude provocante comme une noyée à une bouée. Tu ne veux pas t’effondrer de nouveau face à cette personne sur laquelle tu ne peux, finalement, pas te reposer.

« J’plaisante pas ! Il y a un monstre à Hawkins ! Un monste ! Moins il en sait, mieux c’est ! »

Tu perds tout contrôle sur les mots qui sortent de ta bouche, toute furieuse que tu es. Tu lui craches la vérité au visage sans aucune honte, sans la moindre hésitation. Seule une idée te préoccupe. Ton père ne peut pas savoir, tout simplement. Il n’y a que ça qui compte.

☾ anesidora

La tornade qui porte ton nom ne s’arrête plus, la colère est ton carburant et la desctruction violente de ton environnement sera ton frein ultime. Tu es détruite Billie, il n’y a que tes ruines qui sont encore debouts. Et tu ne seras satisfaite que lorsque tout ce qui t’entoure reflètera ce que tu es à l’intérieur. Il y a cette part d’ombre au fond de toi que tu n’assumes pas vraiment, il y a ce trou noir qui semble aspirer toutes les choses positives auxquelles tu aurais pu te raccrocher. Depuis ton retour de ce monde parallèle – qui est une manière bien plus courte et concise de désigner la version morte et froide d’Hawkins - tu perds pied, tu te noies dans ce désespoir qui est en bonne voie de devenir un véritable trait de caractère pour toi. Encore une fois, tu n’assumes pas. Alors tu caches cette faiblesse derrière un mur de colère. Tu es faible, si faible et tu t’en veux. Tu aurais tant aimé être plus forte, tu aurais aimé pouvoir carrér les épaules fièrement et affronter toutes ces choses qui font frémir les enfants la nuit. Mais voilà, tu n’es pas forte. Tu frémis aussi quand quelque chose semble se mouvoir dans la penombre. Tu es impuissante et démunie face à cette situation. Tu as le contrôle sur ce qui se passe, maintenant, tu es maîtresse de la situation. Tout du moins, c’est l’impression que tu as en cet instant. Tu n’es en réalité que la marionnette de ta fureur, que la poupée de ta peur. Tu t’excites, tu t’agites. Dans un élan d’énergie et de colère, tu renverses ton fauteuil. Tu continues de marcher comme si tu étais en réalité un animal que l’on a piégé. La vérité n’est pas si loin, tu es une adolescente prisonnière d’une impasse terrible, d’un regard sévère.

« La confiance peut prendre plusieurs formes, Billie. Je te remercie de celle que tu m’accordes. »

Tu la fusilles du regard, tu lui adresses une grimace répugnée. Ah ! Non, tu ne lui accordes pas ta confiance, plus maintenant. Si au départ, tu avais l’impression d’être écoutée et comprise, ce n’est plus le cas à présent. Tu te sens trahie, tu te sens incomprise. Il n’y a pas pire ressentit en ce bas monde. Tu as envie de t’écrouler sur le sol et de te perdre dans tes sanglots. Tu viens de lui avouer sans détours qu’une bête aussi féroce qu sauvage traîne dans les rues d’Hawkins. Mais la principale ne relève pas, elle ne réagit pas. Un véritable dialogue de sourd dont tu ne sais pas comment te sortir. Tu passes tes deux mains sur ton visage en tournant les talons, gémissant et grognant bruyamment. Elle ne comprend pas Mrs Mannings, elle ne comprend pas. Elle ne t’écoute pas. Et ça te frustre. Faut-il que tu cries plus fort encore ? Faut-il que tu retournes l’entièreté de son bureau ?

« Je te fais confiance. Plus encore, je te crois. Je ne sais pas à quoi ressemble ce monstre, mais je crois qu’il est assez effrayant pour te mettre dans cet état et pour justifier la crainte que tu as envers ton père. »

La voix douce de Mrs Mannings de ne fait rien pour atténuer la dureté de son mensonge. Je te crois, dit-elle. En réalité, tu sais que la vérité est toute autre. Elle ne relève pas tes mentions nombreuses du monstre, de la vérité qu’elle refuse de voir. Tu lèves les yeux au ciel en grimaçant encore, tes yeux luisant toujours de cette colère qui t’anime. Elle ne saisi pas l’essentiel et ça ne t’aide pas à te calmer. Le problème n’est plus l’ignorance de ton père. Non, le problème maintenant, c’est son manque d’écoute. Son absence évidente de compréhension.

« Si nous n’en parlons pas à ton père, de ce monstre, est-ce que tu me laisseras t’aider ? Ce n’est pas quelque chose que tu peux faire seule, Billie. Tu le sais, sinon tu ne m’en aurais pas parlé. »

Tu fais un tour sur toi-même, une mine scandalisée sur tes traits et les bras légèrement levés. Puis tu t’arrêtes en faisant face à Mrs Mannings. Tu la regardes avec mépris.

« Vous, m’aider ? craches-tu avec dédain. Vous me croyez même pas ! Arrêtez de mentir ! J’vois bien que vous me croyez pas. »

Tu renifles et croises les bras sous ta petite poitrine, adoptant une attitude désinvolte et distante. Tu fermes les portes du dialogue, tu te fermes à la discussion, qui n’évoluera pas tant que la principale ne te croira pas.

« Il y a un monstre à Hawkins ! Un vrai monstre ! Je l’ai vu ! cries-tu presque. Il a l’air humain, mais il l’est pas ! Il n’a pas de visage, sa tête s’ouvre comme une fleur et il a beaucoup de dents et il pue ! »

Tu n’as pas imaginé tout cela et il faut que Mrs Mannings le comprenne. Ce n’est pas une métaphore stupide pour désigner autre chose, il y a véritablement un monstre.

☾ anesidora

Tu as tout d’une folle ; le regard un peu vide, mais agité, ton corps parcouru de tremblements irréguliérs, une fine couche de sueur sur ton front et les mains moites. Tu n’en as pas nécessairement conscience, bien que tu saches que tu ne sembles pas être la personne la plus saine qui soit. Les hormones adolescentes te montent à la tête, l’angoisse de ce qui t’est arrivé te faire perdre pied. Tu t’emportes et tu rages, tu n’écoutes pas vraiment ce que la principale peut te dire comme tu n’as pas l’impression qu’elle t’écoute véritablement. Mais est-ce vrai ? Tu commences à en douter. La colère ne t’aurait-elle pas assourdie autant qu’elle t’a aveuglée ? Le doute t’envahit, ton langage corporel se fait légèrement moins agressif. Tu gardes tes bras croisés sous ta poitrine, ton regard se fait moins dur et tu fais des allers et retours à un rythme plus modéré. Une vague de gêne commence à monter en toi, tu l’étouffes comme tu peux, cherchant à puiser dans les restes de ta colère qui commence à s’amenuiser. Tu te fais plus docile et tu te hais un peu pour ça. Pourquoi diable changes-tu d’humeur aussi aisément ? Tu as envie de blâmer les déboires de l’adolescence, toutefois aucun de tes camarades dans les couloirs du lycée ne semblent jamais aussi perturbés que toi. Tu blâmes Mrs Mannings à la place. Tu te sais injuste, tu te sais cruelle. Mais tu ne peux pas t’en empêcher, tu ne sais pas comment réagir autrement. Tu regrettes aussitôt que les mot quittent ta bouche. Encore une fois, ta colère fond comme neige au soleil.

« J’ai en effet du mal à la croire. »

Tu ne sais pas trop comment prendre cet aveux. Elle t’avoue sans détour qu’elle n’a pas été totalement honnête et tu ne sais, encore une fois, pas comment réagir. Tu te retrouves complètement démunie face à la situation dans laquelle tu t’es précipitée tête baissée. Tu baisses les yeux et ton regard se pose sur la chaise que tu as renversé un peu plus tôt. Un élan de culpabilité s’élève. Tu t’en approches, tu redresses le fauteuil d’un geste maladroit et incertain. Tu restes plantée à côté un long moment, ne sachant pas trop si tu souhaites t’asseoir ou non.

« Tu me demandes de te faire confiance, mais tu ne me crois pas non plus, alors que je te demande quelque chose de beaucoup plus aisé à comprendre. »

Elle n’a pas tort, Mrs Mannings. Mais ça ne te plaît pas. Tu as l’impression de te retrouver face à une figure parentale que tu n’as jamais vraiment connu jusque-là. En face de toi, tu as l’impression d’avoir une mère en train de te remonter les bretelles. Tu es déstabilisée. Tu es ahurie. Ta propre mère ne t’a jamais parlée de cette façon, n’a jamais pris le temps de te faire des remontrances aussi calmes et posées. Il n’y avait jamais eu que des cris et des hurlements colériques, que des remarques impatientes et glaçantes. Jamais ta génitrice n’a pris le temps de se poser pour mettre en lumière tes travers et te pousser à aller au-dessus de ceux-ci. Ça te surprend. Tu grimaces un peu, tu te balances d’un pied sur l’autre. L’idée que ce soit ta principale qui te remette ta place alors que ta propre mère n’a jamais pris la peine de le faire te laisse un goût amer en bouche, te met terriblement mal à l’aise. Tu sens tes joues rougir légèrement, des tâches de couleur qui passent inaperçues sur ton visage déjà fort coloré par le tourbillon d’émotions qui t’a tant perturbée. En soupirant, tu t’asseois à nouveau sur ton fauteuil inconfortable.

« J’ai envie de te croire, Billie. Et je te crois, d’une certaine manière. Je crois ce que tu me dis, ce qu’il t’est arrivé, ce danger… »

Tu soupires encore une fois, tu baisses le regard vers le bout de tes bottines en cuir usées. Tu passes une main dans ta longue chevelure sombre.

« Je sais que ça paraît fou, mais je sais ce que j’ai vu … C’est un vrai montre. Comme dans les livres d’horreur ou les films. »

Tu insistes. Tu as terriblement besoin que Mrs Mannings te croie, tu as terriblement besoin du soutien de l’adulte. Si tu ne peux pas avoir le soutien de ton paternel, tu te dois d’avoir au moins celui de Mrs Mannings.

« Tu as dit que tu étais dans les bois… tu te souviens où c’était, exactement ? »

Ton regard bleu se pose sur la femme, une lueur surprise brillant au fond de ceux-ci. Elle fait un pas dans ta direction, elle te tend une nouvelle fois une main qui te promet l’aide que tu désires tant. Tu restes un moment immobile. Puis tu hoches doucement la tête.

« Ouais, je me souviens où c’est. J’pourrais pas vous expliquer comme ça, j’suis très mauvaise pour donner des directions … Mais j’pourrais vous y emmener si vous voulez … ? »

Tu hausses les épaules nonchalamment, comme si cette proposition ne réprésentait rien pour toi. Mais c’est tout le contraire. L’angoisse te tord le ventre et noue ta gorge. Toutefois, si cela veut dire que tu peux contribuer d’une quelconque manière à stopper ce monstre terrible, tu es prête à mettre tes états d’âme de côté.

☾ anesidora