« Je suis désolée … elle a dit qu'elle voulait que les choses s'enchaînent vite pour pouvoir passer à autre chose, et je n'ai pas vraiment eu mon avis à donner. »

Assurément, la CIA ne lui avait pas demandé son avis – ni sur son inscription au lycée ni sur tout le reste – mais ça n'empêchait pas Rebecca de s'être parfaitement rendu compte que ça ne plaisait pas à son interlocuteur non plus. Mais après tout, comment cette situation aurait pu lui convenir ?! En quelques secondes, il avait appris la mort de son ex-femme avant de se retrouver avec sa fille sur les bras – sans connaître toute la vérité d'ailleurs – et la gamine en question comprenait donc parfaitement bien qu'il pouvait ne pas apprécier du tout.

Mais bientôt, Becca lui tendit le paquet que Diane avait tant hésité à lui envoyer, et à voir le visage du shérif devenir extrêmement pâle lorsqu'il en découvrit le contenu, la jeune femme préféra aussitôt détourner le regard. Détaillant les rideaux mal tirés et qui pendouillaient aux fenêtres, histoire de lui laisser autant d'intimité et de tranquillité que possible face à ce cadeau qui paraissait énormément l'atteindre. Comme il atteignait également sa mère qui avait plus d'une fois versé quelques larmes en l'ouvrant, raison qui avait poussé Rebecca à ne jamais poser questions indiscrètes sur le sujet. Comme elle n'en poserait pas davantage à Hopper qui venait de refermer sèchement la boite, la poussant à le regarder à nouveau. Et à lui adresser un mince sourire maladroit lorsqu'il lui affirma que la journée n'était franchement pas terrible …

Mais au final, que dire de plus ? Qu'elle était désolée ? En l'espace de moins d'une heure, elle le lui avait déjà dit plusieurs fois, alors autant ne pas se répéter pour rien. Mieux valait encore passer à autre chose, comme pour ne pas laisser un silence trop lourd et trop oppressant s'installer.

« En bus … l'assistante sociale m'a indiqué les lignes à prendre et les changements à effectuer. Je suis partie d'Indianapolis hier soir et je suis arrivée ici ce matin. C'est un homme un peu étrange qui m'a indiqué où vous habitiez quand je suis arrivée à la gare routière. »

Elle meublait. Avec des détails sans doute inutiles. Mais après tout, une conversation n'était pas aisée à tenir entre deux personnes qui ne se connaissaient pas, surtout quand elles avaient été mises en contact de force. Et à huit heures du matin puisque manifestement, Hopper ne semblait pas être du matin.

Et puis un instant plus tard, il se releva tout en lui indiquant de le suivre, et Rebecca abandonna alors son sac à dos aux pieds du fauteuil avant de lui emboîter le pas, découvrant ainsi une chambre d'amis qui sentait la poussière et le renfermé. Spartiatement meublée et qui semblait aussi servir à moitié de débarras vu les cartons de vinyles déposés là. Mais vu qu'elle était à la rue, la jeune femme ne pouvait qu'être satisfaite de cette pièce qui n'était franchement pas un taudis non plus, et elle se força donc à nouveau à esquisser un léger sourire afin de le remercier.

« Ce sera parfait, merci beaucoup. »

De toutes façons, la gamine n'était pas du genre à rechigner à la tâche, et un petit coup de ménage ne lui faisait donc pas peur. Au contraire, cette activité était beaucoup plus saine que celle consistant à espionner et balancer des gens !

« En tout cas, je suis vraiment désolée pour tout, et j'espère que cette situation ne va pas vous causer de problèmes. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous … ? »

Une excuse, encore une …
Mais toujours engluée dans son malaise, Becca n'avait pas pu se retenir, et la formulation très générale de sa phrase pouvait englober tellement de choses qu'elle l'avait presque utilisée comme dans l'espoir de s'absoudre de tout. De tout ce qu'elle allait devoir faire. De tout ce qu'elle avait déjà fait également. De ce poids beaucoup trop lourd à porter pour une gamine de son âge.

« Et si ce n'est pas trop demander, ce serait possible que vous contactiez l'assistante sociale ou alors que je le fasse ? Elle m'a dit que je devais la prévenir dès que je vous aurais vu, histoire d'être sûre que je ne me sois pas perdue en chemin. »

Jim Hopper n'y verrait très certainement qu'un certain professionnalisme, mais il en était pourtant tout autre : sans lui laisser le choix, la CIA lui avait bien signalé qu'elle devrait régulièrement se manifester et les tenir au courant, et il s'agissait là du premier contact maintenant qu'elle était à Hawkins. Celui consistant à leur prouver qu'elle n'avait pas fuit en cours de route, et ce même si elle en avait vraiment eu envie. Et qu'elle en avait encore envie actuellement aussi.

Après une tentative de la rassurer en lui disant d'arrêter de s'excuser continuellement, Hopper quitta finalement la pièce dont il referma la porte derrière lui, et s'il avait fait ça pour la préserver de sa discussion avec l'assistante sociale, Rebecca n'en perdit toutefois pas une miette. Mais après tout, le shérif hurlait tellement fort qu'il aurait été compliqué de ne pas l'entendre, et même si la gamine savait pertinemment bien que cette femme n'aurait jamais aucun soucis professionnel suite à cette engueulade, elle se sentit toutefois soulagée. Un peu puérilement sans doute. Parce qu'elle espérait sincèrement qu'à crier ainsi, il était en train d'emmerder cette connasse au maximum ! Ce qui n'était ni très constructif ni très mature, mais dans la mesure où elle ne pouvait se prévaloir d'aucune autre victoire sur la CIA, alors Becca faisait avec le peu qu'elle avait …

Et lorsque Hopper l’appela, la jeune fille le rejoignit aussitôt … pour apprendre qu'il allait la garder ici ! De cette nouvelle qui la soulagea autant qu'elle l'angoissa. Parce que si elle était soulagée sur bien des points, l'idée même de l'espionner lui soulevait tout de même l'estomac. De ces sentiments contradictoires qui la poussèrent à esquisser un sourire à la fois gêné mais sincère, dans lequel son interlocuteur ne décèlerait certainement rien d'autre que le malaise d'une gamine paumée mais contente d'apprendre qu'elle n'allait pas finir à la rue.

« Merci. »

De de petit mot qui voulait à la fois dire beaucoup et ne rien dire du tout, et ce même si Becca choisit volontairement de ne pas penser à la suite des événements. Pas tout de suite en tout cas. Préférant s'asseoir comme Jim venait de le lui demander. S'asseoir, écouter gentiment, et hocher la tête pour signifier qu'elle comprenait ses règles.

Pas de copines ni de copains, mais elle n'avait de toutes façons personne à Hawkins. Et si on pouvait considérer que ce qu'elle faisait présentement pourrissait jusqu'à son âme, elle n'avait en revanche pas ces vices qu'étaient l'alcool, la cigarette et la drogue. Comme toute adolescente, elle avait déjà essayé de fumer une fois et avait aussi bu quelques verres à l'occasion de soirée, mais ce n'était pas là des comportements réguliers chez elle. Loin de là même puisqu'elle avait toujours été une gamine assez calme et posée.

« Non, pas de question, c'est compris. Par contre, ce n'est pas la peine de vous embêter à venir me chercher, je ne pense pas qu'il puisse m'arriver grand chose dans une petite ville comme Hawkins. »

Pour elle qui avait habité Indianapolis toute sa vie, il était évident que Hawkins tenait clairement du trou paumé. Le genre de patelin perdu où le plus grave qui pouvait lui arriver serait de tomber face à une biche … ou un lapin … ou un agent de la CIA. Mais – heureusement ou malheureusement – Hopper n'était sans doute pas au courant que des bestioles de cette dernière catégorie rôdait autour de lui, et c'était sans doute mieux ainsi. Pour elle comme pour lui.

Sans compter que si jamais il venait la chercher à la sortie du volley ou du travail, il risquerait peut-être de voir des choses qu'il ne devrait pas voir, aussi Rebecca préférait-elle prendre les devants. Surtout qu'elle ne savait pas du tout quand et comment elle allait être contactée …

« Par contre, j'ai pas le sens de l'orientation le plus opérationnel du monde, donc si ce n'était pas trop demander, je veux bien un tour vite fait de la ville pour ne pas me perdre trop vite. Ah et … est-ce que ce serait juste possible de ne pas donner les raisons de ma présence ici ? Je sais que l'assistante sociale n'a rien dit en m'inscrivant au lycée, et je préférerais que les gens ne sachent pas. J'ai pas vraiment envie que tout le monde me regarde avec pitié ou me pose des questions. »

Elle n'avait pas envie …
Pas envie que les gens pussent savoir, pas envie de penser à tout ça non plus. Au final, la seule chose qu'elle voulait vraiment, c'était se terrer dans un trou où personne ne la retrouverait, mais à défaut … pouvoir oublier temporairement lui suffirait. Parce que si elle ne voyait rien, elle ne pourrait rien dire à la CIA. Et qu'avec un peu de chance, celui ou celle qui lui demanderait des comptes saurait se contenter de ça et ne pas insister. Avec un peu de chance.

Si Rebecca tenait à cacher ses petits secrets en rentrant seule, elle avait pensé que sa proposition serait toutefois assez logique et banale pour passer sans encombre … mais non. Manifestement peu enclin à la laisser sa balader seule dans Hawkins passés les 21 heures, Hopper venait d'imposer sa décision en haussant le ton, et la jeune fille sentit aussitôt son malaise s'accroître même si elle se contenta d'acquiescer d'un mouvement de tête. Restant ainsi silencieuse tandis que la perspective de lui offrir une visite guidée du patelin ne sembla pas du tout enchanter son interlocuteur. Pas davantage que la perspective de conserver le silence sur ses raisons d'être parachutée ici d'ailleurs.

Dans un trou paumé comme Hawkins, tout le monde se connaissait et tout le monde regardait joyeusement dans le jardin de l'autre pour pouvoir ensuite commérer … oui, c'était un peu ça qui l'angoissait aussi, et ce même si elle ne répliqua rien. Se contentant une fois encore d'agiter la tête comme un petit chien floqué qu'on aurait déposé à l'arrière d'une voiture. Elle se sentait déjà étouffer …

Et lorsque Jim sortit pour aller fumer, ce fut avec une certaine lenteur que la gamine se leva en détaillant un instant la pièce du regard. Hésitant. Hésitant. Et se mettant finalement en quête du placard à balais où elle trouva tout ce qui pourrait lui être utile pour nettoyer cette chambre d'ami qui allait devenir la sienne. Parce que faire le ménage lui occuperait toujours les mains, et qu'avec un peu de chance, ça pourrait peut-être même occuper ses pensées l'espace de quelques heures. De quelques minutes. De quelques secondes.

Elle détestait déjà Hawkins.