Elle prit conscience de sa faim, du vide de son estomac dès que l’arôme de la pizza vint lui chatouiller le nez. Elle s’empressa de prendre une part pour croquer un grand bout dedans.
Les eggos trouvés dans la boîte étaient son unique repas depuis plusieurs nuits, alors autant dire qu’une simple pizza pour elle équivalait à un festin de choix.
Jim lâcha deux mots qui suscita un regard interrogatif de la gamine. Au labo on lui apportait la nourriture, on la déposait sans plus de cérémonial, voir quand elle revenait d’une expérience particulièrement éprouvante, alors qu’elle était à bout d’énergie et tombait de fatigue, il attendait un petit plateau disposé par terre près de son lit. Le côté repas en « famille », avec discussions et des « bon appétit », elle ne connaissait pas, elle n’avait jamais vécu ça. Elle avait beaucoup à apprendre pour se « sociabiliser » et se comporter un peu plus en petite fille au lieu comme une sauvageonne.

« C’est ce qu’on se dit avant de manger ».

B... Bon… Appétit… Répéta-t-elle la bouche un peu pleine et puis l’ombre d’un petit sourire passa un instant sur son visage, puis hop ! S’évapora sous l’envie de remplir plus avidement son ventre si creux.
Une première part rapidement avalée, lui apporta un puissant sentiment de satisfaction. De la nourriture solide au fond du ventre faisait tant de bien. Prenant une autre part, elle posa sa première question. Quelle était cette personne qui avait permis à Jim de la retrouver ?
Mangeant un peu moins goulument du coup, elle le fixa. Elle nota son hésitation, il semblait peser le pour et le contre, mais il finit par choisir la vérité et lâcha l’info à la jeune fugitive :

« Elle s’appelle Autumn. Elle porte le numéro cinq. Tu te souviens d’elle ? ».

Five ?... Sister ! ... S’exclama-t-elle avec un vif intérêt.

Oui elle se souvenait d’elle, comment l’oublier, elle l’avait aidé un peu à survivre dans cette forêt pendant toutes ses semaines.
Elle opina de la tête, ses yeux parlant pour elle, affichant clairement un sentiment de plaisir, de contentement.
Mais … Comment cela se faisait qu’elle avait rencontré aussi le shérif ? D’un coup, ses traits changèrent, exprimant de l’inquiétude. Elle l’observait, cherchant comment à formuler une question qui se bousculait dans sa tête :

Sister et toi ?.... Comment ? Elle espérait d’ailleurs qu’elle n’avait pas eu d’ennuis. Pas qu’elle n’avait pas confiance en Jim, juste que s’il l’avait vu, peut-être que d'aussi.

La CIA et Papa surveillaient activement cette ville, les environs, se montrer étaient dangereux. Si Eleven avait dû rester planqué autant de temps dans cette forêt glaciale et inhospitalière c’est que le risque était grand. De plus Jim ce soir, en la récupérant et en l’emmenait ici, avait confirmé que la menace était toujours réelle.

Sister… Toujours cachée ?
S’il y avait bien une chose qu’Eleven avait le plus peur au monde, ce n’était pas le démogorgon mais bien du labo et surtout de Papa. Le docteur Brennet demeurait pour elle, son plus grand traumatisme.

« Comment as-tu fait ? ».

Questionna à son tour Jim, la tirant un peu de ses sombres réflexions. Elle termina en même temps sa troisième part de pizza, tout en mâchant la dernière bouchée, elle leva son regard vers lui… Un regard qui affichait trop de sérieux pour une enfant. Elle termina cette bouchée, avala ce qu’elle avait encore en bouche et ne le quitta pas du regard, alors qu’il poursuivit doucement :

« Après que tu aies emmené le Démogorgon ... tu y es retournée, n’est-ce pas ? De l’autre côté ? ».

Elle opina doucement de la tête.
Oui... dans l’école, l’Upside down… Répliqua-t-elle maladroite toujours avec le vocabulaire bien qu’elle se débrouillât mieux depuis qu’elle avait donc passé du temps avec la bande de gamins.
Elle fronça les sourcils, elle semblait chercher ses mots, fixant un point devant elle sans vraiment le voir. Puis après un petit temps, quelques secondes de réflexion, à nouveau sa petite voix se fit entendre, essayant tant bien que mal d’exprimer ce qui était difficile à expliquer pour elle :

Toute seule… j’ai appelé... J’ai couru… J’avais … peur ?… et… j’ai vu … Elle tiqua, chercha du secours en croisant les yeux de son protecteur. Elle pinça les lèvres, embêté de buter autant.

Un trou… une sortie ?... j'ai été dehors… le vrai… mais… Et là son regard se fit triste, s’embruma légèrement d’humidité.

Mike… y avait… des… méchants… chez Mike… je… j’ai couru dans les bois… Elle renifla, essuya rapidement du dos de la main son visage bien sale, étalant un peu plus la saleté sur sa peau.
Et avisa la boîte de gaufre qui lui faisait trop envie. Alors elle l’a pris, l’ouvrit sans trop d’efforts et en croqua une. Elle tentait ainsi de refouler sa peine, car pour la première fois depuis tellement de temps, de jour et de nuit… elle n’était plus seule. Alors elle se sentait quand même un peu mieux et ne devait plus pleurer maintenant.

C’était donc five qui avait aidé Jim à la retrouver, sa Sister, elle ne s’attendait pas à ça et la surprise fut clairement visible dans ses yeux bruns. Surprise, crainte et soulagement d’une telle unité entre les deux cobayes. Mais ? Maintenant ? Est-ce qu’elle était toujours à l’abri ? Elle avait croisé le shérif, elle espérait qu’aucun ennui ne l’était arrivé. D’où cette question, et l’interrogation inquiète qui s’affichait dans son regard et ses traits fatigués. Heureusement le shérif s’empressa de la rassurer, d’apaiser ses craintes :

« Elle est bien cachée Des amis l’aident, les Fitzgerald, une famille de gens biens ».

Eleven plongea intensément son regard trop sérieux pour son si jeune âge dans le sien, cherchant comme à vérifier s’il était sincère, qu’il ne mentait pas mais… les amis ne mentent pas, et il était un ami . Non ? Il lui avait donné à manger dans cette boîte dissimulée dans la forêt c’est qu’il ne lui voulait pas de mal. Alors elle reprit la mastication de sa gaufre, appréciant le goût sucré de cet aliment préféré.
Mais Hopper n’en avait pas fini avec les sujets désagréables, il devait savoir, comprendre comment elle avait réussi à revenir alors que Mike et les autres garçons affectés par ce qui s’étaient passé cette nuit-là, lui avait bien raconté le sacrifice d’Eleven.
À nouveau, elle cessa de manger, à nouveau toutes ses émotions passèrent sur son visage maigre.
Et elle raconta au mieux comment elle avait pu sortir, où elle avait été, l’upside down.
En tout cas Hopper sembla comprendre son récit, tant mieux car elle ne savait pas comment le rendre plus clair sinon.
La voyant certainement assez remué, il la rassura. Derrière son air d’ours, il y avait beaucoup de gentillesse.

« Tout va bien maintenant ».

Elle ne se déroba pas à cette main dans son dos, à ce geste de réconfort sincère mais un peu maladroit. Il y avait trop longtemps qu’il n’avait pas été protecteur et attentionné pour quelqu’un d’autre. Eleven quant à elle ne connaissait pas beaucoup l’attention de ce genre. Désintéressé pour ses pouvoirs et totalement altruiste. Oui c’était nouveau mais n’en prit pas peur. Elle esquissa un petit sourire en retour, très faible, une ombre relevant les commissures de ses lèvres.

« Et le démogorgon ... il est mort ? ».

Enchaîna-t-il assez rapidement, histoire certainement de passer très vite les sujets compliqués. Comme quand on arrache un pansement, d’un coup. Et c’est vraiment ce qu’elle est ressentie… Une brusque douleur intérieure.
Son visage encore une fois fut le miroir de ses sentiments. Ses sourcils s’affaissèrent, le doute, la tristesse, un regard marquant l’incertitude. Après quelques secondes de battements, elle finit par le dire :

Je… Je sais pas… désolée… Oui elle s’excusait de ne pouvoir lui donner une réponse satisfaisante. Elle s’excusait car quand elle n’arrivait pas à contenter les personnes du labo, elle était souvent punie, emmené de force et balancer dans une pièce sans ouverture, plonger dans le noir. Elle ignorait si la créature était bien morte, elle n’était plus là à son réveil dans l’upside down c’est tout ce qu’elle avait pu constater.

… Il... Il n’était… plus là…

Elle fixait Hopper avec un peu d’inquiétude. En serait-il fâché ? Était-ce mal de sa part de ne pas savoir ?
Mais il ne la fixait pas méchamment, il souriait même doucement. Était-ce donc possible de ne pas toujours réussir ce qu’on demande et … de ne pas être punie ? De pas voir l’adulte mécontent ? C’était un fait vraiment nouveau pour elle et plutôt surprenant.
Mi inquiète encore et un peu rassuré, elle termina doucement sa gaufre, son estomac commençait vraiment à saturer maintenant, elle avait bien moins faim. Elle se laissa un peu à se détendre dans cette cabane et à se sentir un peu moins… sur ses gardes, un sacré changement pour elle.

Il était peut-être bien mort le Démogorgon… peut-être mais elle n’en était pas sûre. Au moins il n’avait pas pu faire du mal à Mike, Dustin et Lucas. Avec son don, elle avait réussi à le blesser et le faire disparaître de ce monde… elle était cependant partie avec, se retrouvant dans l’upside down. Heureusement elle n’y était pas restée longtemps, trouvant un passage dans un mur. La créature par contre… Elle ne l’avait pas vu, mais impossible d’être sûr qu’elle soit morte… ou non. Eleven de ce fait ne pouvait donner une réponse claire et précise au shérif. Cependant il ne semblait pas lui en vouloir pour autant :

« Ce n’est pas grave ».

Bien qu’il n’en soit pas hérité, la gamine sentait que cela le contrariait quand même. Mais il resta gentil et calme, ce qui différenciait vraiment de « Papa ». Quand Eleven ne pouvait faire ce qu’il voulait, il chargeait des hommes à la punir. Mais pas Jim Hopper, il n’eut aucune punition. Elle pouvait se reposer ici, elle pouvait manger toute une boîte d'eggos.

« Ce soir, je dormirai sur ce canapé et toi tu prendras le lit dans la chambre là-bas ».

Elle suivit son geste des yeux, voyant donc la porte de la chambre entre ouvrir. Elle opina doucement pour montrer qu’elle avait compris. N’ayant plus faim du tout, elle reposa la boîte de gaufre entamée. Elle pourrait dormir à l’abri et au chaud, une vraie nuit de sommeil et non planqué dans une grotte ne parvenant à dormir qu’une heure ou deux par-ci par là.
Son esprit tourmenté depuis des semaines, semblait brusquement lâcher du lest, enfin s’apaiser et forcément quand on vit sous la peur et la pression pendant des jours et des jours… Ses yeux s’embrumèrent de larmes, des larmes qui glissèrent doucement sur ses joues sales et qu’elle s’empressa d’essuyer avec ses mains, tout esquissant un demi-sourire d'excuse.

Jim la poussa ensuite à aller prendre sa douche. Il lui donna les produits qu’il avait achetés pour elle, lui fourra aussi dans les bras une serviette et des vêtements de garçonnet (les siens) qu’il avait trouvée dans un des gros cartons qui encombraient le salon.
La petite Eleven ainsi chargée, s’engouffra donc dans la pièce d’eau et s’exécuta, se décrassant et se changeant.
Pendant qu’elle prenait sa douche, Jim organisa vite fait les lieux. Il prépara la chambre pour la petite, trouvant de quoi habiller le matelas et une épaisse couverture dans l’armoire qui meublait la chambre.
Il s’occupa aussi de son propre couché dans le salon, virant les cartons autour du canap et mettant dessus draps et couverture aussi.
Quand la petite réapparut, plus garçonnet que jamais avec ses cheveux encore assez courts, mais propre, il lui indiqua qu’il était temps d’aller se reposer et que demain il ferait plus ample ménage ici pour qu’ils soient plus confortablement installés.
Eleven découvrit alors cette chambre, un lit, un vrai, elle n’avait jamais dormi dans un lit comme ça. Malgré sa fatigue cependant elle mit une petite heure pour s’endormir.
Quand enfin elle sombra, c’était en tout cas avec un fort sentiment de « sécurité » et de confiance.